Quel est votre parcours et comment en êtes-vous venu à travailler sur l’histoire de l’automobile et des rallyes ?
Après des études techniques (10 ans d'École Militaire au Mans, patrie de la plus folle course du Monde (ça laisse des traces !) Passionné d'automobile et de courses, je suis bon pilote mais pas assez pour m'engager dans une carrière dans le sport automobile.
J'ai quand même tâté à la course en circuits, course de côte et slaloms avec des voitures historiques (Porsche 911, Formule V...)
J'ai surtout goûté aux voitures de course historiques et emblématiques, grâce à mes responsabilités au Musée National de Mulhouse.
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Quels aspects de l’histoire de l’automobile ou des rallyes vous passionnent le plus, et pourquoi ?
D'une part l'évolution technique des voitures et leurs applications sur les voitures de série, qui loin d'être "pousse au crime" bénéficient de meilleures conditions de sécurité pour le pilote et les passagers.
Ensuite les aventures humaines liées à la course et aux rallyes, qui malgré les joies et les drames, permettent à certains de se dépasser, et à dépasser parfois les limites de ce que peut endurer sa voiture, tout en restant sur la route (en prenant de gros risques) mais en accomplissant leur passion jusqu'au bout.
Les plus belles pages ont été écrites par les hommes et non par leurs machines.
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Quelles grandes étapes historiques ont marqué l’histoire des rallyes automobiles en France selon vous ?
D'abord l'avènement des grandes épreuves routières de l'origine à 1920, avec des voitures proches de la série (et des pilotes héroïques et téméraires !) Puis l'avènement, grâce à une réglementation de plus en plus technique, des grands Rallyes nationaux à partir des années 50/60 (Monte-Carlo, Coupe des Alpes, Tour de Corse, Tour de France Auto, Mont Blanc, Alsace-Vosges, Lorraine etc. et enfin la courte séquence des voitures de Groupe "B" à la limite du raisonnable...
Mais qu'est-ce qui est raisonnable en compétition automobile ?
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Quelles grandes étapes historiques ont marqué l’histoire des rallyes automobiles en Italie selon vous ?
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Si nous nous référons à la naissance des courses sur routes ouvertes en Italie, les deux épreuves les plus célèbres sont la Targa-Florio et les Mille Miglia. A l'origine, la Targa était dévolue aux vraies voitures de course formule Grands-Prix, mais les éditions d'après la Seconde Guerre furent consacrées aux voitures de sport, grand tourisme et tourisme, et ce dans de nombreuses classes de cylindrée. Gagner la Targa était atteindre le Graal. De grands marques s'y sont illustrées après guerre : Ferrari, Alfa-Roméo, Lancia...mais surtout Porsche qui a marqué la Targa avec 11 victoires. Mercedes a également remporté la Targa en 1955, année d'un exploit identique aux Mille Miglia, l'autre incontournable épreuve sur route, terrain de jeu privilégié des Ferrari de Grand Tourisme. Mais, un fait est remarquable, c'est que ces deux courses faisaient la part belle aux petites cylindrées (souvent italiennes) proches de la série, ou en tous cas dérivées de mécaniques de série (essentiellement des Fiat) comme Cisitalia, Fiat-Abarth, Stanguellini, Giannini, Volpini etc. apportant une dimension populaire que le public adorait. Ces deux épreuves n'étaient pas à proprement parler des rallyes comme le Milan-San Remo ou le Rallye de Sardaigne, qui existent toujours. Mais malgré l'arrêt de ces deux épreuves, Targa Florio et Mille Milles en raison des nombreux accidents et des risques encourus, l'histoire du sport automobile reste marquée à tout jamais par les exploits, petits et grands, de ceux qui pouvaient dire : "J'ai fait la Targa ! Ou "j'ai fait les Mille Milles ! ".
Quels perfectionnements techniques majeurs issus des rallyes automobiles ont influencé l’évolution des voitures de série au fil des décennies selon vous ?
Dès la naissance de l'automobile fin 19ème siècle, des épreuves sur routes ouvertes ont été organisées :1894 le Paris-Rouen, puis les grandes courses de ville à ville Paris-Berlin, Paris-Vienne, Paris-Madrid etc. avec des véhicules routiers du commerce.
Le mot Rallye n'était pas encore employé. On appelait ces épreuves Concours, Coupes, Raids, Critériums, Tours, Trophées, Prix etc. L'apparition officielle du mot Rallyes est, je crois, au Rallye de Monte-Carlo en 1911, avec des véhicules déjà préparés pour l'occasion.
Les réglementations évoluent vite avec des classements par catégories, cylindrées, nombre d'exemplaires exigés etc. élaborés par les sections sportives des Automobiles Clubs. Si au début ce sont surtout des accessoires et équipements spécifiques qui apparaissent pour éviter les pannes (roues de secours car les crevaisons sont nombreuses, bidons de carburant, éclairages supplémentaires etc.) très vite, les moteurs sont optimisés pour augmenter leurs performances : puissance nominale et puissance spécifique, couple moteur pour les courses en montagne, amélioration du refroidissement etc. ce qui conduit à augmenter la vitesse des voitures.
L'allègement général de la voiture par la suppression des équipements inutiles, l'emploi de matériaux légers (aluminium d'abord puis matériaux composites ensuite, tant pour les structures que pour les carrosseries) est un facteur de compétitivité. Beaucoup de composants font également l'objet de perfectionnements donc de progrès au niveau de la tenue de route (géométrie des suspensions, amortisseurs réglables, freins assistés, réduction des masses non suspendues etc.) Apparaissent aussi des équipements de protection pour les pilotes et copilotes : arceaux de sécurité, ceintures harnais, extincteurs automatiques, combinaisons ignifugées etc.
Pour les rallyes hivernaux (Monte-Carlo, Liège-Sofia-Liège, Neige et Glace, Coupe des Alpes etc.) on crée par exemple les pneumatiques cloutés, des éclairages halogènes etc. Bien que certains rallyes réservent des classements aux voitures de série, les podiums sont monopolisés par des voitures de course de plus en plus performantes pilotées par des pilotes professionnels, ce qui n'était pas le cas jusque dans les années 30. Si les femmes étaient toujours présentes (et performantes...) certains rallyes comme le Paris-Saint Raphaël leur étaient exclusivement réservés dès 1929..
Pour vous quels sont les modèles de voitures de rallye les plus emblématiques, et pourquoi ?
Des marques comme Panhard & Levassor, Fiat, Itala ou Mercedes Daimler étaient souvent victorieuses en rallyes jusque dans les années 1905/1910. Dans les années 20/30, Alfa-Romeo 6 C 1750, MG TD, Austro-Daimler ADR 6 etc. prennent le relais dans les rallyes internationaux, rejoints par Triumph TR, Jaguar SS 100 , Lancia. Après guerre, si les Jaguar XK 120, Ferrari 250, Alfa-Roméo TI, Porsche 356, Lancia Aurelia etc. jouent chez les gros bras, les Renault 4 CV, Dauphine Gordini, Saab 96 etc. sont souvent cités dans les petites cylindrées.
Il existe deux championnats internationaux, le Championnat d'Europe et le Championnat du Monde. C'est dans ce dernier que s'illustrent dans les années 60/70 et suivantes, les Jaguar MK 2, Ford Anglia et Escort, BMC Austin Cooper, Porsche 911, Renault R 8 Gordini et Alpine A 110.
Les vitrines sportives font vendre, et les grands constructeurs se lancent à fond dans les années 80, soutenus par des sponsorings puissants : Renault R 5 Turbo, Peugeot 205 T 16, Lancia Stratos et Delta, Audi Quattro, Ford RS 200 et autres voitures du Groupe dits "B" extrêmes, qui furent finalement interdites pour des raisons de sécurité en 1987.
Parmi les voitures remarquables de ces 20 dernières années il faut citer les Subaru Imprezza, Mitsubishi, Peugeot 206 WRC, Citroën Xara et DS 3 WRC, Volkswagen Polo R, Ford Fiesta WRC etc.
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L’Italie et la France sont souvent perçues comme des concurrentes directes dans le monde de l’automobile. Selon vous, laquelle est la plus avancée en termes d’innovation et de progrès techniques dans le domaine du rallye ?
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Chacun de ces deux pays a apporté sa part... Mais il convient de faire la part des choses entre les grandes marques qui ont engagé leurs bolides dans des courses sur route et rallyes, comme les constructeurs français Bugatti (dont le fondateur était italien, dont l'usine se trouvait en Alsace allemande, redevenue française en 1919, mais qui était très francophile au point d'être naturalisé français) ou Gordini, italien d'origine devenu français qui ont porté haut tous les deux le bleu de France (dont l'entreprise fut achetée par Renault) ou les constructeurs italiens comme Ferrari, qui trône toujours au sommet des belles GT italiennes, ou encore Maserati, Alfa-Romeo. Ce constat pourrait laisser croire que l'Italie a nourri la compétition en France pendant des années (il y a bien d'autres exemples, comme Talbot avec Anthony Lago, ou Théo Pigozzi et les Simca à base Fiat (qui permettront à Gordini de se développer) Mais aujourd'hui, on ne peut ignorer que la France a également donné naissance à des voitures qui ont réellement marqué l'histoire des Rallyes, comme Renault (dont les premières Dauphines ou R 8 étaient dopées par Amédée Gordini !) Ou encore Panhard avec les DB et CD souvent victorieuses dans leur classe. Aujourd'hui, depuis les années 2000, si les victoires sont monopolisées par les Français (Loeb et Ogier) il est difficile de dire quel est le pays le plus innovant, car des Alpine-Renault et R 5 turbo, Peugeot 205 Turbo ou 206 WRC ou Citroën C 4 WRC, pour quelques Français ou Lancia Delta ou 037 (la dernière marque italienne à être engagée dans le Championnat du Monde) les techniques sont très semblables... La quadrature est complexe : les coûts de développement ont explosé ce qui éloigne certains grands constructeurs (la course à l'armement coûte cher !) les marchés évoluent, les normes de circulation et de sécurité également pour les spectateurs et les pilotes, certaines grandes épreuves ont disparu etc.) Remporter des victoires ou le championnat exige un alignement des planètes : le meilleur pilote, la meilleure voiture, le meilleur budget...mais surtout les meilleures retombées commerciales.
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Quels sont, à votre avis, les principaux défis que les voitures de rallye doivent relever aujourd’hui pour concilier performances, durabilité et respect des nouvelles réglementations environnementales ? On parle beaucoup de la Formule E, qu'en est-t'il du rallye ?
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Il est évident que le monde du rallye va beaucoup changer, tout comme nos voitures de tous les jours... Les coûteuses tergiversations des instances politiques depuis 30 ans, quelles qu'elles soient, et celles des constructeurs automobiles qui n'ont pas la solution technique idéale (Électrique ? Hybride ? Nouveaux carburants ? Hydrogène ? etc.) mais qui protègent leurs intérêts, et enfin, la nécessité d'intégrer les paramètres environnementaux, voire sociétaux, vont certainement faire que les rallyes vont perdre de leur sel. En tous cas celui que nous avons goûté pendant un siècle...
Je ne suis pas assez versé dans les derniers secrets de la FIA (Fédération Internationale de l'Automobile et de sa Commission sportive) ou de la FFSA (Fédération Française du Sport Automobile) qui établissent les règlements, pour savoir de quoi demain sera fait. Il y a fort à parier que le Rallye va également "s'électrifier" tout comme les monoplaces E (à moins qu'on change de nouveau d'avis dans 5 ans...) que l'informatique va de plus en plus se substituer au pilotage, et que les héros ne seront plus au volant, mais dans les staffs techniques des constructeurs.
Mon avis n'engage que moi : le rôle des pilotes sera d'être aussi sportif de ses pouces à s'exciter avec ses manettes, boutons, curseurs et autres commandes, que d'être assis dans son canapé à jouer avec sa Game-Boy ou sa Play Station III...
L’influence des rallyes sur les véhicules de série semble primordiale . Selon vous, quelles innovations issues des rallyes des années 2000 ont eu le plus d’impact sur les voitures grand public en France et en Italie ?
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Depuis l'origine, les constructeurs ont fait d'un vrai sport, dangereux (autant pour les pilotes que pour les spectateurs) un moyen dont on pouvait tirer parti pour améliorer la voiture de tous les jours. Mais il ne faut pas être dupe ! Les ambitions commerciales sont nées avec ce sport, et sans espoir de retombées commerciales, les rallyes ne présentent pas d'intérêt pour les marques. Il n'en reste pas moins que ce qui est bon pour une voiture de rallye, l'est également pour une voiture quotidienne : meilleures performances techniques, puissance, couple, accélération etc. (obtenues avec ou sans turbos) avec recours à des gestions électroniques optimisées, meilleure tenue de route : suspensions complexes, amortissements réglables et automatisés, transmission à 2 ou 4 roues motrices, avec gestion électronique des glissements, dérives, patinage etc. meilleurs freinages avec gestion informatisée des données, réduction de la consommation avec allègement général, optimisation de l'aérodynamisme, renforcement des structures résistantes aux chocs, progrès des éclairages, des pneumatiques etc. etc.
L'élément nouveau depuis 2000, est que le regroupement des marques et des constructeurs, la mondialisation des productions, ne permet plus de mettre en avant une appartenance "nationale". Les identités "rallye" de la France, comme de l'Italie, vont se dissoudre dans les extrémismes du marketing wookiste international, et fouler au pied une réalité historique, qui appartient déjà au passé.
Restent les pilotes... qui ne pourront se faire plaisir qu'en conduisant une voiture insipide et bardée de stickers et d'appendices aérodynamiques (inutiles...) qui ressemblera à celle des futurs rallyes "électriques, au gaz, à la vapeur; à l'hydrogène ou à la pile à combustible, voire à l'atome domestiqué" se remémorant en boucle les vers d'Alfred de Musset : "Peu importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse"...
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Entretien réalisé le 22 Décembre 2024